Il était une fois une jolie place de village, de celle où il fait bon vivre, animée sans être bruyante, fréquentée sans être comble, vivante en été, attrayante en hiver.
Trois boulangers y étaient installés depuis quelques temps déjà. L’un au sud, l’autre à l’est, le dernier à l’ouest de la place. Jusqu’à présent, il y avait suffisamment d’habitants dans le bourg et aux alentours pour permettre à ces trois boulangeries de fonctionner normalement, sans trop de contraintes.
Ne pas être le meilleur
Depuis peu, une moyenne surface s’était établie à quelques kilomètres de là avec un dépôt de pain. Déjà, le volume de baguettes vendues s’en était ressenti. C’est le premier indicateur chez les boulangers, car il représente 75% des ventes de pain.
Même si tout le monde sait que la composition d’une baguette industrielle n’a rien à voir avec celle d’une traditionnelle, il faut bien reconnaître que pour de nombreux foyers, prendre 3 baguettes à 35 centimes l’unité lors des courses hebdomadaires au lieu de payer 85 centimes pour une seule baguette à l’une des boulangerie de la place, c’est une petite économie qui s’ajoute aux autres.
La guerre des prix n’avait pas encore réellement commencé, pas officiellement en tout cas. La proximité, pour une partie des habitants, jouait encore en faveur des boulangers.
Mais pour combien de temps ?
Pour le moment, tous redoublaient d’énergie et d’idées pour rendre leur échoppe respective attractive. C’était à qui avait la plus jolie vitrine, les plus belles décorations saisonnières telles que la Saint Valentin, Pâques, les fêtes des mères, des pères, Noël, l’épiphanie, … A l’épiphanie par exemple, on avait commencé la course aux fèves tendances et prestigieuses, aux bouteilles de cidre offertes pour chaque galette vendue…
La compétition pour être le meilleur était engagée, pour au moins maintenir son volume de vente.
Les trois boulanger maintenaient leur niveau de prix à grand renfort d’imagination et ce, sans rogner sur la qualité de leurs fabrications, du moins, pas encore.
Les clients étaient choyés et bénéficiaient de cette situation.
La concurrence a cela de bon ! 😉
La marge des boulangeries, elle, commençait à faiblir. Les frais engagés pour maintenir les ventes grignotaient déjà la rentabilité des trois affaires.
Être différent
Au nord de la place, il y avait un grand local vide, inoccupé depuis longtemps, justement parce qu’il était au nord. Le soleil donne de la valeur en plus de réchauffer les cœurs.
Un jeune boulanger, né dans la région, rêve de sa propre boulangerie et, depuis qu’il est enfant, il adore cette place de village, ce cœur de la petite cité où tout se passe. Il se renseigne, commence des démarches pour s’installer là, et pourquoi pas dans ce local orienté au nord. Il a plein d’idées, d’énergie, le local est grand, le loyer abordable, il sait déjà tout ce qu’il en ferait.
Il n’est cependant pas dupe. Il y a déjà assez de boulangeries dans le bourg et la moyenne surface à proximité a déjà commencé à modifier les rivalités. Alors, s’il choisit cet endroit, il doit être inventif.
Au départ, il y aura de gros investissements et le temps de trouver le rythme optimal, sa productivité sera inférieure à celle des boulangers déjà installés. Sa marge sera plus faible, il ne pourra donc pas jouer sur les prix et tenter de concurrencer ses rivaux par ce biais.
Il doit se démarquer, absolument.
Parfois, ce qui peut ressembler à des handicaps, peut devenir de formidables tremplins pour créer des opportunités. Ce jeune boulanger a découvert il y a quelques temps qu’il souffrait d’une légère intolérance au gluten. Rien de catastrophique et rien à voir avec la maladie de cœliaque. Cependant, il a été obligé de faire attention et de repenser son alimentation. Le comble pour un boulanger dont la matière première est justement une grande source de gluten !
En faisant des recherches et des essais, il s’est rendu compte que certaines souches de blé étaient plus riches en gluten que d’autres. Conséquence de la modernité qui a cherché à améliorer et à standardiser le processus de panification. C’est ainsi qu’il a constaté que de plus en plus de personnes, tout comme lui, avait une intolérance légère à ces farines modernes et que ces intolérances pouvaient avoir à terme des conséquences plus lourdes pour la santé.
Par contre, en revenant à des souches de blé plus anciennes et en les cultivant selon les règles de l’agriculture bio, l’intolérance légère disparaissait.
Souvenons nous, qu’au début du siècle dernier, les français consommaient en moyenne 900 grammes de pain par jour, contre 140 grammes aujourd’hui. Il s’agissait alors de pain au levain, les levures chimiques n’avaient pas encore pris toute la place, les farines étaient plus naturelles, car là aussi, les traitement chimiques des cultures n’avaient pas encore fait leur apparition, le pain était souvent bis, c’est à dire fabriqué avec des farines moins raffinées qui contenaient des nutriments importants.
La belle baguette blanche, croustillante et appétissante que nous consommons aujourd’hui est loin de tout cela, avec toutes les conséquences que notre jeune boulanger a découvert.
Alors, il prend un parti, celui de ne pas vendre de baguette !
En stratégie, on nomme cela faire un compromis, c’est à dire choisir délibérément d’abandonner une partie potentielle d’activité.
Être meilleur dans ses différences
Il s’est déjà mis en contact avec des agriculteurs locaux, qui lui fourniront des grains de qualité, issus de souches anciennes. A moins de 100 kilomètres, il y a aussi un meunier, qui travaille à l’ancienne et qui mout à la pierre. Tout est réunit pour pour une mise en place cohérente de son idée.
Il a déjà testé ses recettes, il sait qu’il va faire un pain de qualité, différent, que viendront chercher tous ceux qui, comme lui, ont renoncé à en manger et tous ceux qui auront envie de retrouver le goût du pain, sans exhausteur de saveur.
Il ne tombera pas dans le piège des mélanges de farines tous prêts que vendent les minotiers.
Il n’entrera pas dans la guerre des prix que la moyenne surface et les trois autres boulangers ont commencé à se livrer.
Il sera le boulanger du nord de la place, celui qui fait du pain autrement.
Son objectif : faire du pain vraiment à l’ancienne que les intolérants légers au gluten pourront savourer.
Et tout ce que l’on nomme chaîne de valeur dans l’entreprise, celle qui permet de créer la valeur pour les clients, sera orientée et organisée en ce sens.
Un marché en plein expansion car on estime aujourd’hui qu’au moins 6% de la population occidentale serait concernée par cette sensibilité.
Le pain au levain se conservant mieux, il envisage aussi de mettre en place une logistique pour vendre à distance, la taille du local le permet. Il pourra ainsi élargir sa zone de chalandise, sa clientèle étant moins dense que celle d’une boulangerie classique. Et puis il y a aussi les hôtels, les restaurants, la région est touristique…
Le temps est son atout en plus de la cohérence de toute sa démarche.
Et avec le temps, en gardant son cap, d’autres idées viendront enrichir ses premières constructions.
Les autres se battront pour tenter de rester chacun le meilleur, essayant de garder leurs parts de marché et en perdant peu à peu leur rentabilité.
Notre boulanger travaillera à être meilleur dans ses différences pour maintenir ses avantages concurrentiels, il ne renoncera pas aux compromis qu’il aura choisit de faire.
En résumé
J’ai inventé cette histoire pour la démonstration. Les sources, elles, sont bien réelles.
C’est tout à fait ce que nous aurions pu faire pour connaitre et maîtriser votre secteur d’activité afin d’en connaître toutes les rivalités et toutes les opportunités.
Ensuite, il y a le travail sur la chaîne de valeur et la rentabilité de l’entreprise. Ou comment éviter d’entrer dans la guerre des prix sur un secteur concurrentiel, en se démarquant et en préservant ainsi ses marges.
Il y a le travail sur la création de valeur, en marquant ses différences, en acceptant de faire des compromis, c’est-à-dire en décidant de ne pas servir tous les clients.
Il y a une cohérence appliquée à toutes les étapes de la chaîne de valeur, cohérence qui renforce l’avantage concurrentiel. Et la durée, car le temps est un atout. On ne décide pas de changer de stratégie comme on change de tenue à chaque saison.
Un jour quelqu’un m’a demandé s’il était vraiment nécessaire de travailler la stratégie d’une petite entreprise ou d’un commerce. Ma réponse est ici. Et pour l’exemple, j’ai choisi une fois de plus de parler d’un boulanger, car je crois que c’est le commerce de proximité par excellence, celui auprès de qui tout le monde peut s’identifier.
Ce qui peut s’appliquer aux plus petites entreprises peut s’appliquer aux plus grandes.
Et ce qui peut s’appliquer aux plus grandes entreprises peut s’appliquer aux plus petites.
Entreprendre n’est pas une question de taille !
Sources :
- http://fdslevigan.free.fr/DOCSHORSITE/ARTICLES/APCE2007_Fiche%20boulangerie%20artisanale.pdf
- http://www.planetoscope.com/Autre/957-consommation-de-baguettes-de-pain-en-france.html
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Baguette_%28pain%29
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_c%C5%93liaque
- http://www.boulangerie.org/economie/economie-panorama-du-secteur
- http://www.thierrysouccar.com/nutrition/info/qui-doit-eviter-le-gluten-425
Depuis 2011, j’explore, j’étudie, j’analyse, j’imagine comment faire autrement, comment créer de l’équilibre et du respect dans le fonctionnement de toute entreprise.
Vous êtes à la tête d’une entreprise que vous avez créée, ou reprise, ou dont vous avez hérité.
Vous avez l’impression de ne gérer que des problèmes et vous n’en voyez pas le bout.
Puisque vous lisez ces lignes, c’est certainement le bon moment pour vous de vous demander «pourquoi» .
D’ailleurs, « pourquoi » est une de mes deux questions préférées. L’autre c’est « comment ».
Pour vous accompagner, je propose des audits d’entreprises et des accompagnements, axés sur la libération de la connaissance dans l’organisation, comme outil pour induire de la confiance, de la créativité et ainsi favoriser une évolution harmonieuse de l’entreprise.
A la clé pour vous :
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- – Des leviers de création
- – La motivation des équipes
- – Et vous qui pouvez vous concentrer sur votre vision , agir en dirigeant d’entreprise et non plus en simple gestionnaire.